Derrière les bâtiments de Gabon Télévisions, un silence étrange plane sur un paysage de ruines. Là où s’élevaient autrefois des habitations, des commerces ou des lieux de vie, il ne reste aujourd’hui qu’un champ de décombres. Des objets éparpillés, des souvenirs dispersés, des bribes d’humanité broyées par les machines du génie militaire. À Plaine-Orety, l’opération de déguerpissement ne laisse que peu de répit, encore moins d’illusions.
Mais dans les failles du béton effondré et les couloirs poussiéreux des maisons éventrées, surgissent aussi des vérités longtemps tues. Car derrière la compassion légitime, s’impose une réalité plus complexe, moins manichéenne.
“Beaucoup ici ont touché de l’argent… mais n’ont jamais quitté les lieux”, confie Jean-Marc OYONO, ancien fonctionnaire à la retraite. Il connaît bien le secteur : « En 2008 déjà, une première vague d’indemnisations a eu lieu. Des gens ont pris l’argent, parfois plusieurs millions, et au lieu de partir, ils ont vendu leurs maisons à des étrangers ou à de jeunes couples sans titres. »
Un silence lourd de calculs
Sylviane MBINA, aujourd’hui hébergée chez sa sœur à Nzeng-Ayong, se dit bouleversée, mais pas surprise :
« Moi j’ai été indemnisée en 2016. On m’avait clairement dit que la zone allait être reprise un jour par l’État. J’ai déménagé à Bikele. Mais quand je suis repassée voir ma parcelle, il y avait une nouvelle maison dessus. Quelqu’un l’avait rachetée, sûrement sans savoir ce qu’il en était. Et tout le monde se tait. »
Même son de cloche du côté d’Éric NDOLO, autrefois installé non loin du bassin naturel de rétention d’eau :
« On ne va pas se mentir. Beaucoup ici ont fait du business. Il y a des gens qui ont été dédommagés et qui ont construit deux ou trois maisons en planche, pour ensuite les louer. C’est ce qui a nourri l’impression d’une impunité durable. Mais l’État avait prévenu. »
L’hypocrisie collective ?
À l’inverse, ceux qui n’ont jamais rien perçu dénoncent le manque de justice. Nicole AVOM, mère de trois enfants, affirme n’avoir jamais été informée :
« Je suis locataire ici depuis 2015. J’ai toujours payé mon loyer à un monsieur qui disait être le propriétaire. Jamais il ne m’a parlé d’un terrain à risque. Aujourd’hui, c’est moi et mes enfants qui dormons dehors, pas lui. »
Des témoignages comme celui de Nicole soulignent un phénomène inquiétant : la revente massive de terrains par d’anciens propriétaires indemnisés, souvent à des populations vulnérables ou étrangères, peu informées des risques juridiques.
« Certains l’ont fait en toute conscience, d’autres par besoin d’argent. Mais au final, ce sont les plus pauvres qui paient », déplore Léonard N’KOUE, coordinateur local d’un collectif d’aide aux déplacés.
Des enfants, des ruines… et la débrouille
En marge de cette tragédie sociale, les signes d’une adaptation rude émergent déjà. Dans les gravats, des enfants fouillent les restes : carreaux brisés, morceaux de tôle, fils de cuivre. Pour certains, c’est une manière de contribuer aux revenus familiaux. Pour d’autres, une façon de s’occuper l’esprit.
Mais dans les regards croisés entre les ruines, une interrogation commune revient : et maintenant ?
Une transition urbaine assumée
Le gouvernement, de son côté, maintient le cap. Le projet de cité administrative et du Boulevard de la Transition est lancé, et l’Exécutif rappelle que les occupations étaient “illégales et connues comme telles depuis plusieurs années”. À en croire un conseiller du ministère de l’Habitat, « ce qui choque aujourd’hui aurait pu être évité si les gens avaient respecté les textes. On ne peut pas à la fois toucher une indemnisation, revendre, et ensuite réclamer justice. »
Pour nombre d’observateurs, Plaine-Orety est devenu un symbole. Celui d’un Gabon entre deux temps : le passé de la permissivité foncière, et l’avenir d’une gouvernance plus rigoureuse.
Mais au pied des ruines, ce sont encore des familles, des enfants et des mémoires qui pleurent. Et les bulldozers, eux, ne pleurent pas.
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