Les pièces bancaires désormais versées au dossier judiciaire lèvent le voile sur un dispositif méthodique de captation de fonds publics mis en place au Ministère du Tourisme et de l’Artisanat. Au centre de cette architecture financière : l’ancien ministre Pascal Ogowet Siffon, aujourd’hui rattrapé par une affaire dont l’ampleur dépasse les 10 milliards de francs CFA.
L’examen croisé des mouvements financiers fait apparaître l’utilisation simultanée de deux établissements : BGFIBank Gabon et la Caisse des Dépôts et Consignations du Gabon. Cette double domiciliation n’a rien d’anodin. Elle a permis de fragmenter les flux, de multiplier les retraits et d’affaiblir les mécanismes classiques de surveillance administrative.
Entre la fin de l’année 2023 et le premier trimestre 2024, les relevés font état d’une succession rapide de retraits en liquide, de chèques de forte valeur et d’opérations répétitives, parfois à quelques heures d’intervalle. Les montants unitaires oscillent entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de millions, sans qu’aucun lien clair ne soit établi avec une dépense publique régulière.
Des bénéficiaires identifiés et récurrents
L’élément le plus troublant réside dans la constance des noms figurant sur les opérations. Les mêmes personnes apparaissent de manière répétée comme porteurs de chèques ou bénéficiaires de retraits. Il s’agit de collaborateurs directs, de conseillers et de membres de l’entourage immédiat du ministre.
Ce schéma révèle une concentration anormale de la dépense au profit d’un cercle restreint, en violation manifeste des principes de neutralité, de séparation des fonctions et de contrôle interne. La gestion quotidienne des décaissements, confiée à une proche parente du ministre, achève de consacrer une confusion grave entre sphère publique et intérêts privés.
Une dérive installée dans la durée
Contrairement à la thèse d’incidents isolés, les documents démontrent une continuité parfaite du système sur plusieurs exercices budgétaires. Les relevés couvrant les années 2024 et 2025 montrent la poursuite des mêmes pratiques : chèques encaissés en série,
retraits fractionnés, libellés génériques et non explicites, absence totale de référence à des marchés, contrats ou prestations exécutées. L’addition des flux issus des deux établissements fait franchir au préjudice documenté la barre symbolique des 10 milliards de FCFA.
Des projets fantômes, des fonds évaporés
Parmi les sommes incriminées, 2,6 milliards de francs CFA étaient officiellement affectés à des projets structurants : un hôtel à Moanda et six éco-lodges censés renforcer l’offre touristique nationale. Or, aucune réalisation tangible n’a vu le jour. Ni chantiers, ni infrastructures, ni livrables. L’argent, lui, a bel et bien circulé.
Au regard du droit budgétaire et comptable, les faits cumulés dessinent un tableau accablant : absence d’ordonnancement régulier, inexistence de preuves de service fait, usage massif d’espèces, répétition d’opérations nominatives sans justification, contournement manifeste des circuits normaux de paiement.
Ces éléments constituent des indices graves et concordants de détournement de deniers publics. Si la responsabilité pénale de l’ancien ministre est désormais entre les mains de la justice, cette affaire pose une question plus large : comment un tel système a-t-il pu fonctionner aussi longtemps sans alerte effective ?
Elle interroge la solidité des contrôles internes, la vigilance des institutions financières et la crédibilité des mécanismes d’audit. À présent judiciarisé, le dossier Pascal Ogowet Siffon n’est plus seulement un scandale financier. Il est devenu un test de vérité pour la gouvernance publique, la redevabilité des gestionnaires et la promesse de rupture avec les pratiques d’un autre temps.































Discussion about this post